Meïwakan Aïkido

12 rue de la perruche

17000 La Rochelle 

Site officiel de Mickaël Martin 6° dan

Uchi Deshi de Tamura Nobuyoshi Shihan
Fondateur de Meïwakan Aïkido

 

Interview de Mickaël Martin réalisée au Japon en 2018 pour le journal Hiden 秘伝

 

 

 

 

Cher Mickaël Martin, parlez-nous de votre rencontre avec Maître Tamura.

 

Mickaël Martin : J’avais quinze ans la première fois que j’ai vu Maître Tamura. C’était en 1991, lors d’un stage à Lesneven (Bretagne, France). Ce stage rassemblait 400 à 500 pratiquants tous les ans, et cette année-là il était dirigé par Maître Tamura, ainsi que Maître Yamada, Maître Kanaï. Tamura Senseï était certes plus petit et plus mince que les autres, mais je me rappelle que son regard était aussi beaucoup plus perçant. Trois ans plus tard, toujours à Lesneven, j’ai pu recevoir pour la première fois une technique de Maître Tamura. Ce fut shiho nage, omote et ura, et encore aujourd’hui je me souviens très clairement des sensations que j’ai ressenties : je n’avais pas eu le temps de chuter que l’arrière de mon crâne touchait déjà le tatami. A partir de ce moment, je décide de suivre tous les stages possibles de Maître Tamura, et peu à peu, me reconnaissant, il me prend de plus en plus comme uke. A mes 23 ans, Maître Tamura m’a dit suite à un stage : « si tu veux venir au dojo, viens » et sans hésiter, je l’ai tout de suite suivi jusqu’à Bras, mon keikogi sous le bras pour seul bagage.

 

 

Au Japon, le système de transmission « uchi deshi » se perd peu à peu. Est-ce que vous avez eu conscience de ce que cela impliquait lorsque vous êtes allé au Shumeïkan ?

 

Mickaël Martin : Non, pas du tout. J’ai pris beaucoup de temps à comprendre l’ampleur du rôle d’uchi deshi. Maître Tamura ne m’a pas expliqué tout de suite ce que cela signifiait. J’ai fait ce qu’on me disait de faire, accourant de loin pour porter ses affaires dès que je le voyais, et me chargeant de tout ce qu’il y avait à faire autour de lui. J’ai nettoyé le dojo jusqu’à faire briller lustres, fenêtres et carrelage. Quand le dojo accueillait des stages, je nettoyais chaque pièce avant l’arrivée des pratiquants, je m’occupais de l’accueil et de la préparation des tables, j’aidais Madame Tamura à préparer les plats. Le repas terminé, je nettoyais les assiettes du repas, puis chacune des chambres. Tant que toutes ces tâches n’étaient pas faites, je ne montais pas sur le tatami. Ce n’était pas facile de m’occuper de tout ça seul. Un jour, j’ai protesté auprès de Maître Tamura à propos de mon manque de temps pour pratiquer. Il m’a simplement répondu que si la situation me déplaisait, je pouvais partir du dojo. Après une semaine de froid entre nous, il est venu me voir et m’a parlé des difficultés auprès d’O-Senseï lorsque lui-même était uchi deshi au Japon. S’occuper de tout ce qui touche au Maître, agir avant qu’il ne s’en aperçoive, avoir tout le temps ses affaires prêtes et en ordre, décider rapidement, faire ce qui est demandé avec efficacité. Toutes ces choses cultivent en fait l’esprit du Budo. Depuis cet incident, Maître Tamura et moi avons fait de notre mieux, et lorsque je pratiquais seul dans le dojo, il venait me donner des conseils. Les repas que Madame Tamura préparait après les séances d’Aïkido, deux fois par semaine, étaient un grand plaisir. Elle aussi a pratiqué directement avec O-Senseï. Et en dehors du temps qu’elle consacrait à élever ses trois enfants, elle suivait aussi les cours de son mari. Une fois en France, il lui a été difficile de trouver les ingrédients japonais et elle a eu beaucoup de mal au début. Pour Kagami Biraki en début de l’année, il fallait s’occuper d’une cinquantaine de pratiquants : il est certain que derrière Maître Tamura, il y avait l’aide irremplaçable de Madame Tamura. Encore aujourd’hui, si un pratiquant ayant un lien avec Maître Tamura l’invite, elle se déplace aussi bien en France qu’à l’étranger. Elle participe à mes propres cours et prépare des plats, toujours aussi bons.

 

 

Pouvez-vous expliquer le style d’enseignement de Maître Tamura ?

 

Mickaël Martin : Maître Tamura m’amenait toujours à réfléchir par moi-même. Même si j’étais uchi deshi, mes actes étaient constamment remis en cause si j’appliquais bêtement ce qu’il me disait de faire. Par exemple, un jour où je portais ses affaires, il m’a demandé de laisser ses valises aux sempaï qui l’accompagnaient car c’était leur rôle. Alors que je m’exécutais, il m’a arrêté, à ma grande surprise, pour me confirmer que c’était bien aux plus jeunes de faire ça. Cette façon de faire m’a beaucoup troublé ce jour-là. Finalement, j’ai vraiment appris à agir et décider par moi-même grâce à l’enseignement de Maître Tamura. Il me demandait souvent le nombre de personnes à l’intérieur et à l’extérieur du dojo. Si je me trompais, il me réprimandait et me disait qu’en situation de combat, je serais déjà mort à cause de si peu d’attention.

 

 

Vous avez donc vous-même réfléchi à la façon dont peut se dérouler la pratique ?

 

Mickaël Martin : A l’époque, j’avais déjà réfléchi à des exercices. A la fin de l’année, je pensais par exemple faire un entraînement « misogi » : pratiquer sans limite de temps. J’ai donc demandé à Maître Tamura des précisions sur la façon de procéder mais il m’a simplement répondu de trouver par moi-même. Lorsque je suis revenu avec mon programme, il m’a juste dit que j’avais bien cherché. Le jour venu, vers la quatrième heure de pratique, Maître Tamura est venu assister à mon cours par surprise et nous a enseigné pendant deux heures supplémentaires. Il a conclu le cours par une explication du terme misogi. J’étais vraiment comblé ce jour-là – et le cours de misogi est devenu un incontournable de la fin d’année. C’était comme cela, Maître Tamura nous faisait toujours comprendre non pas avec les mots, mais avec les actes.

 

 

Les Occidentaux sont généralement de plus grand gabarit que les Asiatiques. Y a-t-il eu des personnes venant tester maître Tamura ?

 

Mickaël Martin : Il y en a eu quelques-uns, mais ils se sont toujours fait envoyer balader. La fois qui m’a le plus marqué est celle où un élève, feignant de serrer la main de Maître Tamura, en dehors du tatami, en a profité pour le tirer avec force vers lui. Cet élève était grand et musclé, et la plupart des personnes auraient eu une réaction de recul, mais Maître Tamura s’est naturellement laissé porter par le mouvement et, en approchant son visage de celui de l’élève, il lui a demandé : « qu’est-ce que tu fais ? » L’élève en question a tellement été étonné qu’il n’a rien pu répondre. De mon côté, j’ai pu voir la vraie force dont parle Maître Tamura ce jour-là, celle qui ne provient pas des muscles mais d’un relâchement parfait.

 

 

En quoi l’Aïkido de Maître Tamura était-il différent ?

 

Mickaël Martin : Tout d’abord, l’Aïkido de Maître Tamura diffère de l’Aïkido que l’on peut considérer comme sportif. L’Aïkido de quelqu’un comme Maître Tadashi Abe est sans nul doute aussi un Aïkido effectif, mais Maître Tamura pratiquait l’Aïkido comme un Budo. Ses saisies étaient sincères, et même s’il bougeait de temps en temps pour faire comprendre un mouvement, tant que la technique n’était pas bonne, il demeurait immobile. Aujourd’hui, il est devenu commun de chuter même si la technique n’est pas bonne. Les techniques de Maître Tamura rentraient avec un timing parfait, et en passant par le chemin le plus court, il immobilisait son adversaire en un temps record. Maître Tamura disait toujours que la vitesse n’est pas importante, il avait pour habitude de répéter que l’important n’est pas de faire ou non chuter son opposant, mais qu’il faut bouger de manière correcte. L’Aïkido de Maître Tamura ne se fonde pas sur des mouvements amples et circulaires, comme ce que l’on voit couramment de nos jours, et qui se rapproche malheureusement souvent de mouvements bien chorégraphiés. A première vue, les techniques de Maître Tamura semblent compactes et n’ont pas l’air rapide. Mais lorsque le corps et la technique ne font qu’un, uke ne comprend tout simplement pas ce qui lui arrive ! Maître Tamura disait qu’à travers le toucher, il est important de sentir ce qui se passe chez l’autre pendant la technique, et je pense que cette attitude correspond au Budo. Il est dommage que de telles dispositions soient de plus en plus rares en Aïkido.

 

 

Y’a-t-il des entraînements que Maître Tamura pratiquait pour lui-même ?

 

Mickaël Martin : Maître Tamura pratiquait souvent des méthodes de respiration, aussi bien au dojo que chez lui. Il répétait également le geste de monter / descendre son bras, en portant une barre de fer ou la saya d’un katana. Il faisait souvent des suburi avec un iaïto. Encore une fois, Maître Tamura n’était ni grand, ni large, et son corps était bien plus fait d’os que de muscles. Sa seule particularité était l’épaisseur de ses poignets… les saisir provoquait une sensation inoubliable. Un jour, alors qu’on parlait de respiration et de tanden, un élève de grand gabarit a posé une question à propos des techniques d’O-Senseï. Au lieu de répondre directement, Maître Tamura lui a demandé de le saisir aux épaules. Il s’est fait saisir avec une telle force que Madame Tamura a dû tenir les pieds de la chaise sur laquelle son mari était assis. Puis, Maître Tamura, sans même utiliser le dos de ladite chaise, sans pencher ni en avant ni en arrière, en restant sur place, a appliqué une technique à l’élève qui avait posé la question. Le corps de ce dernier a claqué au sol en un clin d’œil. Depuis, je crois profondément en l’importance de la respiration.

 

 

Maître Tamura avait-il une technique préférée ?

 

Mickaël Martin : Maître Tamura a toujours dit que si les kihon sont bien faits, toutes les techniques sont réalisables. Même pendant les stages réservés aux pratiquants expérimentés, les kihon étaient toujours étudiés. Plus on progresse, plus il faut revenir à la base. Je pense que Maître Tamura pratiquait l’Aïkido, le bokken et le jo sans priorité ni préférence. De temps en temps, il vérifiait ses techniques ou en essayait de nouvelles sur moi, mais pendant les cours, c’était toujours les kihon. Il disait toujours : pratiquez l’Aïkido comme vous maniez le bokken et maniez le bokken comme vous pratiquez l’Aïkido. De nombreuses personnes pensent que les kihon sont réservés aux débutants, mais je n’ai jamais vu personne se déplacer comme Maître Tamura.

Parlez-moi de l’Aïkido en France.

Maître Tamura a souvent dit que les Français sont des intellectuels qui réfléchissent trop. Je pense qu’il a raison. En France, on respecte beaucoup les personnes qui font de bonnes analyses et qui savent bien expliquer. Si en plus elles possèdent des grades, ça leur ajoute de la valeur. Mais je remarque beaucoup de différences entre l’Aïkido en France et l’Aïkido au Japon. Les Français n’ont pas un bon shiseï, ils ne sont pas souples, ils se blessent souvent lors de la pratique. Avec l’Aïkido, on apprend pourtant à ne pas utiliser de force. Si l’on se blesse en pratiquant, en dehors des accidents, cela montre qu’une partie du corps a forcé alors qu’elle n’aurait pas dû… certains Français ne peuvent carrément pas s’assoir en seiza en conservant le dos droit : leur corps penche, leur dos se creuse. Certains sont trop gros pour faire correctement ukemi ! Même des experts penchent en avant et terminent leurs techniques en forçant. Ou bien au contraire, certains transmettent un Aïkido creux, où uke se laisse porter par tori. Aucune des deux attitudes n’était envisagée dans l’Aïkido de Maître Tamura. Quand on regarde les vidéos d’O-Senseï, il a toujours le dos droit, même face à de jeunes élèves sérieux et vigoureux. Maître Tada, âgé maintenant de 90 ans, pratique encore avec un très beau shiseï. La façon d’être de Maître Tamura était aussi chargée de charisme. Malheureusement, je ne connais aucun Français ayant une attitude similaire aujourd’hui.

 

 

Que pensait Maître Tamura du système de grades ?

 

Mickaël Martin : Maître Tamura a toujours répété que les grades ne sont pas importants, qu’il ne faut surtout pas pratiquer l’Aïkido pour les grades. Il voyait l’effet néfaste que peuvent avoir ces récompenses sur les Français. Des pratiquants sont venus réclamer leurs grades jusqu’à son lit de mort ! Mais pour Maître Tamura, il fallait savoir s’évaluer soi-même, arrivé à un certain niveau. Maître Tamura a ainsi refusé le neuvième dan que lui proposait l’Aïkikaï. Plus tard, il m’a expliqué que le nombre huit en japonais est assimilé à l’idée d’une ouverture infinie, qu’il ne se termine jamais. C’est pourquoi le huitième dan lui convenait. Apparemment, O-Senseï disait aussi que le nombre huit signifie le retour à la source.

 

 

A la mort de Maître Tamura, y a-t-il eu des changements ?

 

Mickaël Martin : Comme on peut le voir quand d’autres organisations perdent leur chef, beaucoup ont ouvert leur propre association, d’autres ont suivi d’autres maîtres afin d’obtenir des grades. Les grades, qui témoignaient d’un certain niveau avant la disparition de Maître Tamura, sont presque donnés aujourd’hui. J’ai pour ma part longtemps été uke de Maître Tamura, en particulier au Shumeïkan pendant ses cours hebdomadaires, et j’ai encore les sensations de ses techniques bien présentes dans mon corps. Ma voie consiste maintenant à retracer celle de Maître Tamura en m’orientant à l’aide de ces sensations restantes. Si j’apprenais ne serait-ce qu’un peu avec un autre maître, ces sensations s’effaceraient et les techniques de Maître Tamura seraient perdues. Je suis heureux que Madame Tamura continue à pratiquer et vienne toujours à mes cours d’Aïkido. C’est un réel honneur de l’entendre dire que mon Aïkido est ce qui se rapproche le plus de celui de son mari. Pour me rapprocher de l’objectif fixé par Maître Tamura, je m’entraîne tous les jours avec sérieux. Jusqu’à ses derniers jours, Tamura Senseï semblait évoluer sans cesse. Le chemin est donc encore long. J’aimerais que l’Aïkido de Maître Tamura ne disparaisse pas de France, et pour cela je poursuivrai mes efforts.